M.C. Escher : Limite circulaire N°1
Ce projet s’inscrit dans un cycle d’œuvres écrites pour diverses formations autour du principe d’une écriture cumulative. Ce principe consiste à utiliser les ressources électroniques pour empiler des séquences jouées en direct. Dans les autres pièces cumulatives que j’ai composées (« 60 loops », « 24 loops », « Série Blanche »…) tout ce qui est joué par les musiciens est, au fur et à mesure, figé dans le temps par un système de mise en boucle. La musique ainsi créée est le résultat des empilements des éléments successifs. On est ici dans un contexte sonore forcément répétitif, mais, à la différence du courant minimaliste américain, le phénomène d’empilement est parfois très excessif ce qui induit des processus de tension et une forte perception dramaturgique.
« Limite circulaire », par sa longueur, explore plusieurs aspects de ces principes d’empilement dans un processus de travail assez radical pour lequel la participation du flûtiste Cédric Jullion aura été essentielle.
Mon idée initiale consistait a réaliser des enregistrement de modes de jeux spécifiques afin d’étendre les possibilités de montage ; nous avons cherché et enregistré précisément 1050 sons différents explorant, sur 3 instruments (flûte-basse, flûte en sol, flûte en ut), des effets de timbres (sons éoliens, bruits de souffles), des effets percussifs (bruits de clefs, sons « slap », tongue-ram), des effets harmoniques (mutiphoniques). Dans cette phase de recherche, nous avons déterminé 27 doigtés spéciaux qui sont enregistrés aux trois flûtes et dans une large palette de couleurs, durées et intensités. Ces 27 doigtés constituent une sorte de matrice compositionnelle présente dans toute la pièce et qui en détermine l’unité.
Dans la phase de composition, en manipulant ces « objets sonores » déjà micro-composés, j’ai rapidement pensé au peintre Escher et notamment à sa série d’œuvres « Limite circulaire I, II et III » réalisées entre 1958 et 1959. Le principe est ici très simple : une même forme simple est déclinée sur une surface circulaire avec un effet de zoom où les zones du centre sont agrandies et celles près du bord de plus en plus petites. Le regard, comme souvent chez Escher, aime à se perdre entre perception du détail et perception globale, à identifier des trajectoires, à s’amuser avec ces jeux d’échelle, résultant d’un processus toujours très simple.
La musique que j’ai composée ne tente pas de reproduire strictement le principe des tableaux d’Escher mais elle en partage le même type de perception, ici transposée du domaine spatial au domaine temporel. Les empilements nous amènent à percevoir le rapport au temps de manière non linéaire puisque, dans chaque section, des éléments sont répétés en boucle et c’est par leur présence obstinée que les autres sont perçus. La pièce se structure en plusieurs zones qui exploitent tour à tour les effets perceptifs produits par l’accumulation : effets harmoniques, effets d’espace, effets rythmiques…
À l’exception de la technique de répétition d’éléments plus ou moins longs, il n’y a aucun autre traitement des sons d’origine. En effet, il fallait bien, dans ce type de projet s’imposer des cadres, s’amuser avec la notion de limite quitte parfois à être pris dans un labyrinthe inextricable dont les solutions pour sortir n’étaient jamais simples. Ces 1050 sons auront été des compagnons de travail, sortes d’entités que je disposais dans le temps comme autant de points possibles d’une architecture sonore totalement utopique…
Cette œuvre est dédiée à Cédric Jullion et Simon Jodlowski
VIDÉO : Performance filmée par Fabrice Jünger
Extrait Partition